Comment adresser l’enjeu de décarbonation dans votre entreprise industrielle ?
15 mars 2023
La décarbonation de l’industrie est plus que jamais au centre des questionnements et des débats. Alors que de nouveaux dispositifs de financement ont vu le jour en 2020 pour encourager l’émergence et la réalisation de projets de décarbonation dans le secteur industriel, le prix de la tonne de carbone atteint en 2022, puis en 2023, des niveaux records.
Pourquoi la décarbonation représente-t-elle tant une contrainte qu'une opportunité pour le secteur industriel ? Quelles sont les solutions pour décarboner votre entreprise et ainsi réduire votre empreinte carbone ?
Enjeux de la décarbonation industrielle
Réduire l’émission de gaz à effet de serre (GES) est l’un des principaux enjeux des années à venir. Pour maintenir le réchauffement climatique en dessous des 2 degrés, l’effort doit être à la fois collectif et durable. La France, malgré les différentes politiques environnementales et la baisse des GES (-19 % entre 1990 et 2018), est déjà fortement impactée par le réchauffement climatique puisqu’elle connait une hausse des températures de 1,8 °C (comparaison entre la période 1961-1990 et 2019) [1]. Les entreprises du secteur industriel, qui pèsent pour 18 % des émissions de GES du pays, représentent un levier de décarbonation conséquent qui aura un impact majeur sur l’atteinte des objectifs environnementaux français.
[Actualité réglementaire] Aide à la décarbonation des industries
L’appel à projets "DECARB IND" vise les projets permettant une réduction des émissions de GES supérieure à 1 000 tCO2eq par an.
Découvrez dans ce guide le montant des projets éligibles, comment établir votre dossier, ainsi que le système de notation pour obtenir votre subvention.
La décarbonation du secteur industriel : une contrainte et une opportunité
Le marché carbone européen
En 2005, l’Union européenne a instauré le premier système d’échange international de quotas d’émission (SEQE-UE ou EU-ETS en anglais) pour mesurer et réduire les émissions de GES de ses industries énergo-intensives et producteurs d’électricité. Les résultats depuis la mise en place de ce dispositif sont éloquents : les installations concernées ont réduit leurs émissions d’environ 35% entre 2005 et 2019 [2]. L’EU-ETS inscrit la décarbonation comme une contrainte financière représentant un enjeu économique pour les entreprises visées qui doivent chaque année fournir un effort supplémentaire.
Les quotas sont échangés sur le marché carbone européen, qui voit depuis la fin de l’année 2020 le prix de la tonne de carbone s’envoler. Un pic historique a été atteint le 21 février 2023, avec un prix fixé à 100,34€ [3] alors que jusqu’en décembre 2020 le prix de la tonne se négociait à moins de 30€. L’augmentation est conséquente et alourdit la contrainte sur les industriels soumis à ce dispositif. Cette tendance haussière semble devoir perdurer dans le temps pour répondre à l’objectif ambitieux que s’est donné l’Union européenne : une réduction des GES de 55% d’ici 2030.
Anticiper l’extension des politiques de décarbonation…
Dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe, la Commission européenne a présenté le 14 juillet 2021 son « paquet climat ». Celui-ci propose des mesures d’une ampleur inédite destinées à réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne. La refonte du marché carbone via la modification de la directive EU-ETS est l’un des points phares du paquet climat.
Dans cette proposition, le système d’échange de quotas, qui touche pour l’instant les entreprises les plus émettrices de gaz à effet de serre, verrait son efficacité renforcée. Il serait étendu progressivement à plus de la moitié des émissions du transport maritime. La Commission européenne propose de revoir le nombre total de quotas sur l’ETS existant, de réviser le fonctionnement de la mise en réserve de quotas pour les États et de doubler le taux de réduction annuel du nombre de quotas. De plus, la réduction du nombre de quotas gratuits serait accélérée. Toutefois, elle ne fixe aucun prix plancher pour la tonne de carbone.
Le système EU-ETS serait également dupliqué pour s’appliquer aux fournisseurs de carburants et combustibles pour le transport routier et les bâtiments (chauffage et froid). Pour ces nouveaux secteurs, le prix du CO₂ serait distinct de celui fixé sur l’actuel marché du carbone.
Avec ces révisions, l’Union européenne cible une réduction des émissions pour 2030 de - 61% (par rapport à 2005) dans les secteurs soumis au dispositif.
…Ainsi que l’intérêt grandissant du public
Le public et les associations environnementales portent un intérêt croissant sur la stratégie de décarbonation des entreprises. Fait historique montrant l’augmentation de leur marge de manœuvre, deux majors du pétrole - Shell et ExxonMobil - ont été recadrées en mai 2021 sur leur manque d’actions pour mener la décarbonation de leur entreprise [4].
Les entreprises, constatant l’accroissement de cet intérêt en faveur du climat ainsi que la mise en avant des sujets liés à la décarbonation, sont encouragées à se familiariser avec leur empreinte carbone ainsi qu’avec les moyens à mettre en œuvre pour la réduire. Certaines filières industrielles françaises, notamment celles impactées par le sujet car fortement émettrices de GES, ont ainsi publié leur feuille de route vers la décarbonation. C’est le cas par exemple de la filière de la chimie ou de celle du ciment.
D’autres entreprises, sans être soumises au système EU-ETS, décident de prendre les devants et d’instaurer un prix interne du carbone dans le but d’accélérer leur transition énergétique. Grâce à ce prix, elles internalisent dès à présent le coût économique de leurs émissions de GES, et s’assurent que leurs choix actuels se révèleront pertinents pour répondre aux contraintes de demain. La publication « Prix interne du carbone, une pratique montante en entreprise » d’I4CE, Institute for Climate Economics, décrypte cette pratique.
La mise en place d’une stratégie de décarbonation représente un levier de compétitivité et un facteur de performance, notamment pour les entreprises dont la facture énergétique pèse sur le coût de production des produits ou services.
La décarbonation, un levier de performance
Pour décarboner votre site, plusieurs pistes peuvent être explorées, telles que la modernisation de vos équipements ou l’amélioration de vos outils de production. En identifiant puis en réalisant des actions de décarbonation, vous améliorez l’efficacité énergétique de vos sites industriels, diminuez votre facture énergétique et réduisez vos émissions de gaz à effet de serre.
Sans oublier que la réduction de l’empreinte environnementale est un facteur de motivation pour les parties prenantes de votre entreprise (clients, collaborateurs, partenaires…) qui expriment des attentes de plus en plus fortes en la matière.
La décarbonation est aussi bien un enjeu environnemental et sociétal qu’un levier de compétitivité. Mais comment passer à l’action et définir une stratégie gagnante ?
Plusieurs axes à envisager pour décarboner votre entreprise industrielle
#1 - Calculez votre empreinte carbone
Afin de réduire l’empreinte carbone de votre entreprise, identifier les gaz à effet de serre émis de manière directe ou indirecte par votre entreprise via un Bilan des Emissions de Gaz à Effet de Serre (BEGES) ou un Bilan Carbone® est la première étape à suivre. Elle vous permettra d’identifier les actions les plus intéressantes à mener par la suite.
Quelle est la différence entre ces deux bilans ? Jusqu’à présent, le périmètre du Bilan Carbone® était plus étendu que celui du BEGES, puisqu’il comprenait l’analyse de l’ensemble des 3 scopes ci-dessous, alors que le BEGES se concentrait sur les scopes 1 et 2. Cependant, un décret publié en juillet 2022 élargit le périmètre du BEGES.
Il concerne les émissions directes de GES liées à votre activité, induites par la combustion d’énergies fossiles (par exemple : chaudière).
Il rassemble des émissions indirectes de GES liées l’achat ou à la production d’énergie, sous forme d’électricité ou de chaleur (par exemple : consommation d’électricité).
C’est le plus large, puisqu’il inclut toutes les émissions indirectes, c’est-à-dire qui n’ont pas lieu au sein de l’usine qui fait l’objet du bilan (par exemple : déplacement des collaborateurs du domicile jusqu’au lieu de travail).
L‘obligation réglementaire du BEGES évolue en 2023
Depuis le 13 juillet 2011, les entreprises de plus de 500 salariés ayant leur siège social en France métropolitaine ont l’obligation de réaliser un BEGES tous les 4 ans. Un décret signé le 1er juillet 2022 par la ministre de la Transition énergétique étend le périmètre de l’obligation pour inclure le scope 3 dès 2023. Avec cette évolution, le gouvernement souhaite que les entreprises aient une vision plus complète de leur empreinte climatique afin de pouvoir agir avec une plus grande efficacité.
Sont concernés par l’extension de cette obligation :
- Les sociétés cotées sur un marché réglementé (par exemple les entreprises côtés en bourse), dès lors que le total de leur bilan est supérieur à 20 M€ ou le montant net de leur chiffre d’affaires supérieur à 40 M€ et si par ailleurs elles emploient plus de 500 salariés.
- Les autres sociétés dès lors que le total de leur bilan est supérieur à 100 M€ ou le montant net du chiffre d’affaires supérieur à 100 M€ et si par ailleurs elles emploient plus de 500 salariés.
Pour aller plus loin… Des leviers d’actions hors énergie
Le scope 3 apporte une vision de la répartition des émissions de CO2 hors énergie. Son analyse vous permet d’identifier des pistes complémentaires de réduction des GES, par exemple en lien avec les matériaux utilisés, la provenance des matières premières, le transport en amont et en aval des marchandises, l’impact des produits vendus à l’utilisation, la gestion des déchets générés par les activités de l’entreprise, les déplacements de vos clients et collaborateurs, etc.
#2 - Réduisez votre empreinte carbone : les actions phares
Pour commencer, la réalisation d’un audit énergétique vous permettra d’identifier les actions d'économies d'énergie à fort potentiel. Plusieurs aides financières sont disponibles pour couvrir tout ou partie de l’investissement nécessaire pour mettre en place les techniques, procédés et solutions préconisées.
Le dispositif des Certificats d’Économies d’Énergie (CEE) et l’appel à projets « Industrie Zéro Fossile », lancé dans le cadre du plan d’investissement France 2030, sont deux des solutions de financement que vous pouvez utiliser.
Focus sur les actions de décarbonation les plus fréquemment identifiées dans l'industrie :
La récupération de chaleur fatale
La récupération de chaleur fatale est une opération particulièrement prisée du fait de son efficacité et des économies qu’elle génère, la chaleur récupérée étant ensuite réutilisée pour les différents besoins de l'entreprise (chauffage, procédés, eau chaude sanitaire).
Elle permet ainsi d’éviter, entièrement ou en partie, le recours à une chaudière polluante et la dépense énergétique ainsi que les émissions de CO2 qui en découlent.
L’opération peut être utilisée dans de nombreux secteurs industriels puisqu’il est possible de récupérer la chaleur fatale sur plusieurs équipements, par exemple sur un compresseur d’air ou sur un groupe de production de froid.
L’investissement nécessaire pour installer un système de récupération de chaleur fatale peut être couvert, en totalité ou en partie, à la fois par le Fonds chaleur et les subventions CEE, qui sont potentiellement cumulables depuis août 2019. Depuis 2020, les sites soumis au système EU-ETS peuvent également être éligibles à l’obtention d'une subvention CEE pour cette opération.
L’usine de fabrication de céréales Brüggen utilise la chaleur fatale de ses groupes froids pour préchauffer son eau chaude sanitaire et chauffer ses locaux.
L’installation d’équipements plus performants
C’est également l’une des solutions majeures à exploiter. La réalisation d’études énergétiques est nécessaire pour vous assurer du bon dimensionnement et de l’efficacité des nouveaux équipements dont vous planifiez l’acquisition, ainsi que de leur adéquation avec vos besoins. Ces équipements peuvent être assez variés : chaudières, brûleurs micro-modulants ou régénératifs, osmoseurs, etc.
La rénovation de bâtiments
La prise en compte en amont de l’enjeu de décarbonation lors de vos projets de rénovation de bâtiments vous permet d’optimiser votre rénovation pour consommer moins et mieux. Le raccordement à un réseau de chaleur, l’amélioration de l’isolation ou encore l’installation d’un système de Gestion Technique du Bâtiment (GTB) sont autant de solutions vous permettant de réduire la consommation de vos bâtiments.
Décret tertiaire
Savez-vous que les bâtiments industriels peuvent également être soumis à l’obligation règlementaire Éco Énergie Tertiaire, ou décret tertiaire ? Si vous ne n’êtes pas sûr d’être concerné, notre quiz « décret tertiaire : êtes-vous assujetti aux obligations ? » vous apportera les informations nécessaires.
La sensibilisation de vos équipes
Votre équipe vous apporte un avantage décisif puisque c’est sur le terrain que les améliorations sont le plus facilement détectables.
Pour vous aider à actionner ce levier de performance, le parcours de formation PROREFEI vise à former les salariés en charge de la gestion de l’énergie, afin qu’ils puissent mettre en place des actions d’efficacité énergétique sur votre site.
Pour aller plus loin, la mise en place d’un système de management de l’énergie (SMÉ) structure vos actions et inscrit votre site dans une démarche vertueuse, impliquant l’ensemble de vos collaborateurs. Ce système pourra également être certifié par norme ISO 50001.
Castmetal FWF, producteur de pièces en aciers faiblement alliés, a mis en place un système de management de l’énergie certifié ISO 50001.
#3 - Favorisez les énergies décarbonées
La décarbonation de vos sources d’énergie est un deuxième axe intéressant à envisager. Pour privilégier les énergies décarbonées, dont les énergies renouvelables (EnR) font partie, deux pistes sont à explorer :
L’utilisation de nouvelles sources d’énergie
Cette pratique consiste à remplacer vos sources d’énergies fossiles par une source d’énergie produisant moins de GES, comme la biomasse, l’éolien ou le photovoltaïque. Ces EnR sont en plein développement :
- La stratégie nationale de mobilisation de la biomasse a pour objectifs de développer la production de biomasse et d'augmenter son utilisation, tout en veillant à son usage raisonné.
- La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) ambitionne de développer les EnR, notamment l’éolien et le photovoltaïque, grâce à des investissements majeurs du gouvernement dans les territoires.
En fonction de la cartographie énergétique du site concerné, une étude de faisabilité détermine son potentiel d’autoconsommation.
Le déploiement d’un programme de flexibilité électrique
Mettre la flexibilité de vos consommations électriques à disposition du réseau électrique vous permet de contribuer à son équilibre et donc d’éviter le recours à des centrales thermiques polluantes lors des pics de consommations.
Mais également de favoriser le développement des EnR, puisqu’en cas de surplus de production d’origine renouvelable, votre flexibilité électrique pourra être activée à la hausse afin de profiter de cette énergie décarbonée.
Alors que le réseau électrique est particulièrement tendu depuis 2020 en raison des retards pris sur la maintenance des réacteurs nucléaires, la flexibilité électrique joue un rôle clé pour assurer l’approvisionnement en électricité du réseau tout au long de l’année.
l’Armoricaine de Fonderie le Châtelet (AFC), fonderie appartenant au groupe La Fonte Ardennaise, a choisi d'effacer la consommation électrique de ses fours de fusion lors des pics de tension sur le réseau électrique.
Engagez vos actions d’économies d’énergie
Pour atteindre les objectifs de la SNBC et mettre en œuvre la transition vers une économie bas-carbone et durable, ce sont 81 % des émissions de GES de l’industrie qui doivent baisser à l’horizon 2050 par rapport à 2015 [5]. La décarbonation de l’industrie est donc une priorité. Elle représente également une source de valeur pour votre entreprise et l’opportunité d’engager des actions de réduction des GES qui amélioreront significativement l’efficacité énergétique de votre site.
Alors que le coût de la tonne de CO2 est historiquement élevé, que la suppression des quotas gratuits d’émission de GES se rapproche et que la sensibilité aux problématiques environnementales se développe, le moment est opportun pour engager les actions menant vers la réduction de l’empreinte carbone de votre entreprise !
[1] Chiffres clés du climat – France, Europe et Monde – édition 2021 ; https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2020-12/datalab_81_chiffres_cles_du_climat_edition_2021.pdf
[2] Système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE-UE) ; https://climate.ec.europa.eu/eu-action/eu-emissions-trading-system-eu-ets_fr
[3] https://ember-climate.org/data/data-tools/carbon-price-viewer/
[4] Shell et ExxonMobil fermement rappelés à l’ordre sur leur politique en faveur du climat ; https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/05/27/shell-et-exxonmobil-fermement-rappeles-a-l-ordre-sur-leur-politique-en-faveur-du-climat_6081679_3234.html
[5] La stratégie nationale bas-carbone (SNBC) en 10 points https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/18222_SNBC_10-points_A4_oct2020.pdf